Interprètes de la saison
37e avenue - 17 août 2022

Duceppe : une saison de haute voltige pour les 50 ans du théâtre

Année de fête en vue. Pour sa cinquantième saison, Duceppe ose un programme 100 % création, ancré dans la dramaturgie actuelle, mais faisant des clins d’œil à son histoire. Conversation avec les directeurs artistiques David Laurin et Jean-Simon Traversy, un duo également soucieux de diversité, qui ouvre la porte aux artistes autochtones et à une pièce presque entièrement interprétée par des actrices québécoises d’origine maghrébine. 

Depuis leur arrivée chez Duceppe il y a cinq ans, David Laurin et Jean-Simon Traversy ont merveilleusement su faire un virage vers un théâtre à l’écoute de notre époque – notamment en matière de représentativité et d’ouverture aux récits d’immigrants – tout en restant fidèles à l’ADN de l’institution, qui chérit les textes réalistes, aux influences américaines. La saison qui s’amorce, présentant des textes 100 % création, est absolument emblématique de leur griffe. Des écritures ciselées qui racontent l’intime en l’ancrant solidement dans le social et qui posent des questions percutantes sur notre monde. Avec non seulement des nuances et de l’intelligence, mais aussi des émotions fortes. 

  

Pour célébrer les 50 ans de Duceppe, ils se sont donné la mission de faire naître des œuvres profondément connectées à l’« ici-maintenant », mais pouvant faire écho à l’histoire de la compagnie et à des moments charnières de l’histoire du théâtre québécois. Ainsi, ils ont demandé à l’équipe du Projet Bocal, habituée de créer du « théâtre à sketchs », de se lancer dans la création d’une pièce, « comme l’avait fait Jean Duceppe en 1980 en poussant Claude Meunier à écrire Les Voisins, rappelle Jean-Simon Traversy. Sonia Cordeau, Simon Lacroix et Raphaëlle Lalande accouchent donc de Showtime – Une grosse pièce de théâtre, à voir en novembre et décembre. L’histoire ne dit pas encore si le succès sera aussi phénoménal que Les Voisins. On ira voir. 

 

 

De l’art de la fresque 

 

Ils ont aussi invité Nathalie Doummar à concevoir une grande fresque familiale au féminin, Mama, « qui rappellera à certains l’ambition des Belles-Sœurs de Tremblay », souligne David Laurin. Cette fois, la langue est celle de Québécoises d’origine égyptienne, écartelées entre leur sentiment d’appartenance à leur culture d’origine et leur désir d’affranchissement par rapport à celle-ci. La distribution est presque entièrement composée d’actrices québécoises ayant des origines (de première ou deuxième génération) dans le monde arabe – Égypte, Liban, Algérie, Maroc, entre autres. Une première dans notre histoire théâtrale. 

 

 

« Pour créer ce casting et faire évoluer son écriture, on a inventé pour Nathalie ce qu’on a appelé un laboratoire de casting. Il n’y a pas eu d’auditions classiques, mais un processus de plusieurs jours avec les actrices pressenties, mêlant lectures et conversations intimes. La pièce s’est bonifiée de ce partage de vécus, explique David Laurin. Pour nous, revoir les modes de production et inventer de nouvelles façons de faire est une priorité, ajoute Jean-Simon Traversy. La pandémie a aussi exacerbé le besoin pour les artistes de travailler plus lentement, de sortir des anciens schémas. On essaie de créer chaque fois le contexte idéal et unique que nécessite chaque production. » 

 

En résidence chez Duceppe depuis plusieurs années, Nathalie Doummar présente aussi Le loup, une pièce plus intimiste qui avait d’abord été présentée en formule 5 à 7 en mars 2020. Un homme vieillissant y fait le constat de sa masculinité problématique et tente de faire amende honorable. 

 

 

En route vers Uashat, Riopelle et le Canada francophone

 

« On a un retard historique à rattraper avec les artistes autochtones et leurs histoires », admet Jean-Simon Traversy. En mars 2023, il mettra en scène Manikanetish, une adaptation du roman de Naomi Fontaine qui sera entièrement interprétée par de jeunes actrices et acteurs innus et en partie créée en résidence à Uashat mak Mani-utenam, sur la Côte-Nord. La pièce raconte le retour d’une jeune Innue vers ses racines et l’écartèlement identitaire que cela provoque. 

 

  

C’est aussi sur la scène de Duceppe que le grand Robert Lepage entame sa grande épopée dans la vie et l’œuvre de Jean-Paul Riopelle. Le Projet Riopelle (titre de travail) sera un spectacle grandiose et monumental en hommage au « père de la modernité artistique au Québec », comme le dit le metteur en scène. Un spectacle campé quelque part entre le Paris artistique des années 1950 et la nordicité et la liberté du Québec d’après-guerre. 

 

 

Mani Soleymanlou offre quant à lui une nouvelle version de sa trilogie Un.Deux.Trois, cette fois avec 40 interprètes des quatre coins du Canada, d’est en ouest et du nord au sud. 

 

La saison, déjà forte en incursion dans des univers littéraires a priori non théâtraux, s’aventure aussi du côté d’une adaptation d’une œuvre cinématographique. Gaz Bar Blues, de Louis Bélanger, prendra vie sur la scène de Duceppe dans une forme musicale atypique. « La musique, interprétée en direct par les acteurs, vient soutenir l’œuvre du début à la fin, explique David Laurin. Avant même d’entamer le travail de répétitions, on a fait un laboratoire de conception musicale avec les comédiens, qui sont tous aussi musiciens. C’est une démarche vraiment passionnante. » 

 

  

On surveillera aussi, en formule 5 à 7, la pièce Le cas Nicolas Rioux, d’Erika Mathieu. En lisant le synopsis de cette pièce ayant pour cadre une séance de conseil municipal qui vire à la foire d’empoigne et au procès de justice sociale, on pense à Médium saignant, la pièce culte de Françoise Loranger dans les années 1970. Encore un écho à l’histoire du théâtre québécois, dans une forme et un propos férocement actualisés. Voilà de quel bois Duceppe se chauffe en 2022-2023

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