Patrick Emmanuel Abellard : jouer un rôle dans l’histoire du théâtre québécois
En marge de la Journée mondiale du théâtre, la Place des Arts vous invite à découvrir le parcours d’un jeune acteur que l’on verra sur ses scènes cette année et dont les projets transforment le théâtre québécois en un art de plus en plus ouvert sur la diversité et connecté aux grandes questions raciales de notre époque. Patrick Emmanuel Abellard contribue à écrire une nouvelle page de l’histoire du théâtre d’ici. Rien de moins.
Il est le nouveau visage de Dave, personnage désormais culte du théâtre québécois contemporain imaginé et interprété originalement par Alexandre Goyette, dans la pièce King Dave. Dans la nouvelle version de l’œuvre, réécrite avec la collaboration du comédien Anglesh Major, Dave est devenu un jeune homme noir dont la descente aux enfers dans les quartiers populaires se mêle à des questions identitaires puissantes et évoque les discriminations vécues par les personnes afrodescendantes.
On le verra aussi sous peu dans le spectacle jeune public Bal des enfants : Le Magicien d’Oz, créé avec l’Orchestre symphonique de Montréal. Entre conte et musique classique, la célèbre histoire de Dorothée et de son ami l’épouvantail réjouira les enfants. Patrick Emmanuel Abellard prête ses traits au personnage du bûcheron.
De « jock » à comédien
Sept ans après sa sortie du programme d’interprétation du Collège Dawson, Patrick Emmanuel Abellard est devenu une figure importante de la scène montréalaise et un visage connu des téléspectatrices et téléspectateurs québécois, qui l’ont vu entre autres dans District 31 et Plan B. Mais, plus jeune, jouer la comédie n’était pas nécessairement son destin.
« J’étais un “jock” au secondaire, dit-il. Je jouais au foot, et ma vie se concentrait autour de la culture sportive. Jusqu’à ce qu’une prof d’art dramatique me sollicite spontanément pour un rôle, et que ce petit geste change complètement ma vie. Je suis encore sportif, bien sûr. Mais j’ai trouvé dans le théâtre une vocation, une occasion de mûrir et, aussi, de changer un peu le monde, quand les projets sont ancrés dans le social et dans le politique. »
Changer un peu le monde, Patrick Emmanuel Abellard en a déjà eu l’occasion à de multiples reprises. Il a d’ailleurs l’impression de « faire partie d’un gros chapitre de l’histoire du théâtre au Québec », alors que les artistes issus de la diversité prennent de plus en plus de place et que les institutions s’ouvrent à des dramaturgies racontant le monde selon leur perspective.
Sur la scène de Duceppe en 2019, il était de la distribution de la toute première production québécoise francophone majoritairement interprétée par des actrices et acteurs noirs, Héritage (version française du classique américain A raisin in the sun). Or il n’en était pas à ses premières armes dans un certain répertoire américain racontant les vies écorchées des Afro-Américains et Afro-Américaines ou plongeant dans le ventre du racisme systémique.
En anglais au Centaur, il a été de la création montréalaise de Choir Boy, une pièce récente racontant le rêve musical d’un jeune Afro-Américain homosexuel. Avec le Montreal Theatre Ensemble, il jouait en 2016 dans la pièce Race, de David Mamet, également un classique contemporain abordant de plein fouet les questions raciales. Chaque fois, le public d’ici découvre une réalité méconnue, que notre théâtre a très peu explorée au fil de l’histoire.
« Je sens qu’on fait vraiment une différence avec ces spectacles, dit-il. Dans mes rôles à la télé aussi, je vois une évolution nette dans les perceptions de la diversité. J’ai joué mon lot de rôles caricaturaux de petits gangsters au début de ma carrière, mais c’est de moins en moins le cas. Il reste du travail à faire pour une meilleure représentativité, mais cette histoire est enfin en train de s’écrire. J’ai envie de dire aux jeunes Noirs d’en profiter, de croire à leurs rêves et de nous rejoindre dans ce train en marche, qui n’est pas près de s’arrêter. »
Jouer dans les deux langues
Né à Montréal et ayant fait son secondaire dans une école privée de Terrebonne, Patrick Emmanuel Abellard a toujours vécu sa vie en français comme en anglais. Sa carrière de comédien suit le même chemin naturellement bilingue, sans tiraillements ni écartèlements. « It’s just the way I am », dit-il. Son parcours lui permet aujourd’hui de faire partie d’une génération d’acteurs jouant dans les deux langues et créant des ponts entre les communautés théâtrales anglo et franco dans la métropole. Deux mondes qui ont longtemps été cloisonnés, indifférents l’un à l’autre. Aujourd’hui, les choses changent un peu.
« Je comprends pourquoi le théâtre francophone québécois a eu longtemps besoin de se constituer par une démarche d’affirmation du français et d’une identité distincte, et je comprends pourquoi la minorité anglophone a eu besoin de créer son petit monde théâtral à part, pour exister pleinement de son côté. Mais, maintenant forts de cette histoire, les deux univers peuvent se côtoyer davantage. Tout le monde y gagne. On a longtemps pensé au Québec que parler anglais allait affaiblir notre maîtrise du français. Je constate dans mon environnement bilingue que c’est tout à fait le contraire. On parle deux langues, et on les parle toutes les deux mieux. Je pense que la même chose sera vraie pour le théâtre, qui s’enrichira en multipliant les contacts entre la scène anglophone et francophone. »
Bilinguisme décomplexé, jeu énergique, ardeur au travail et engagement social : voilà qui définit le jeune acteur en pleine ascension. Ainsi qu’un appétit pour des rôles variés. « J’aspire à un maximum de diversité dans mes rôles, conclut-il. C’est le bonheur d’être acteur : se prêter à toutes sortes de métamorphoses. »
Patrick Emmanuel Abellard montera sur scène dans King Dave du 16 au 19 juin au Théâtre Jean-Duceppe à la Place des Arts.
Il participera également au spectacle Bal des enfants : Le Magicien d’Oz, avec l’Orchestre Symphonique de Montréal, le 23 avril à la Maison Symphonique.