Errances : déambuler le deuil
Avez-vous déjà rêvé avoir accès aux pensées des passants qui vous entourent ? Errances, un parcours audio qu’un spectateur à la fois effectue avec sa créatrice Mélanie Binette, permet de vivre cette expérience intime – et d’en ressortir profondément habité.
Ces dernières années, j’ai photographié plusieurs performances lors d’événements et de festivals. Je me suis ainsi familiarisée avec les multiples incarnations de l’art performatif, une discipline à la fois scénarisée et ancrée dans l’instant. C’est pourquoi la proposition de Mélanie Binette a piqué ma curiosité.
En décembre 2002, l’artiste multidisciplinaire a perdu son père, mort d’une crise cardiaque sur le parvis du Théâtre Maisonneuve. Cette catastrophe personnelle a été le point de départ de l’œuvre Errances, à la fois récit audio et parcours dans la Place des Arts et ses environs en compagnie de l’artiste, que l’on tient par la main tout au long de l’expérience. Les représentations ont lieu quatre fois par jour pendant plus d’un mois, un véritable marathon du cœur pour la performeuse.
J’ai réservé ma plage horaire.
Transformer l’expérience des lieux
Le trajet passe par des zones de la Place des Arts et de son esplanade que je n’avais pour ma part jamais arpentées. Il donne à appréhender la ville différemment, alors que le récit s’ancre dans les lieux et que notre regard se transforme.
Des endroits où le père de l’artiste a vécu ses dernières minutes, seul le couloir de la station de métro demeure intact. Les autres ont subi une métamorphose ou ont disparu. Un détail pour les passants que nous sommes normalement, mais qui prennent avec Errances un tout nouvel éclairage, alors qu’on déambule main dans la main avec Mélanie Binette.
Les écouteurs que nous portons pendant la performance comportent des micros, afin que les sons ambiants s’ajoutent à la trame narrative. Une couche supplémentaire de réel qui se transforme selon les événements se tenant à la Place des Arts et selon le temps qu’il fait.
Peu de passants jettent un regard au drôle de duo que nous formons avec l’artiste pendant l’heure passée ensemble. On se sent d’autant plus privilégié de vivre cette expérience presque télépathique.
De l’expérience individuelle à l’universel.
La performance juxtapose le propre processus du deuil de l’artiste au perpétuel changement qui anime la Place des Arts et le quartier qui l’entoure. Le résultat est intense et senti, mais évite de tomber dans la lourdeur et le pathos.
Pour Mélanie Binette, cette expérience artistique lui « permet de transformer quelque chose qui était tout simplement douloureux, pris à l’intérieur d[‘elle], en quelque chose d’externe et de beau. D’aller chercher la beauté dans la tragédie et de reprendre le contrôle dessus. »
Comme participant, il est facile de se reconnaître dans Errances, qui explore les traces de la présence des gens qu’on aime dans l’espace public et dans la démarche ou l’habillement de certains passants, et calcule le temps qui passe dans les changements d’un lieu.
L’expérience a continué de m’habiter longtemps. Si en début de parcours le geste de se tenir la main m’avait semblé étrange, le fait de la lâcher a été un petit deuil, me laissant repartir avec les réflexions que cette riche performance a suscitées.
Errances a lieu quatre fois par jour, du mercredi au dimanche, jusqu’au 24 novembre. Une personne à la fois.
Événement gratuit, réservations obligatoires : errancespda@gmail.com