Comment la poésie s'est taillé une place dans ma vie
« La poésie nait spontanément du choc d'images, de la mêlée de sens, de l'accident. Elle jaillit de l'imprévisible, et par son surgissement elle nous lave le regard, la tête, le cœur », écrit Véronique Côté dans La vie habitable. Ce court essai m'a fait comprendre à quel point le besoin poétique forge mon rapport au monde.
J'aime les mots depuis aussi loin que je me souvienne. Dès que j'ai su déchiffrer les 26 caractères de l’alphabet, je suis devenue une lectrice avide, à la curiosité insatiable.
J'aimerais pouvoir dire que la poésie m'a toujours accompagnée dans mes lectures, mais pour être honnête, elle m'a souvent intimidée. J'avais l'impression que je ne pouvais pas la comprendre.
Il y a eu quelques exceptions, des moments de compréhension et de révélation : Paroles de Jacques Prévert à l'adolescence, Gaston Miron et son Homme rapaillé au cégep. C'est aussi au collégial que j'ai saisi à quel point l’écho de la poésie est en constante mouvance. L'œuvre de Nelligan, qui m'avait laissée tiède au secondaire, m'a frappée droit au cœur lors d'un cours de littérature québécoise. Ses mots centenaires résonnaient désormais avec la mort récente d'un ami.
Une forêt mystérieuse
Je ne suis certainement pas la seule qui s'est sentie intimidée devant la poésie. Je me suis reconnue dans cet extrait du magnifique Les villes de papier, le livre que Dominique Fortier consacre à la poétesse américaine Emily Dickinson. « La poésie est toujours une langue étrangère », écrit-elle. En la lisant, j'ai compris qu'il faut la percevoir comme un voyage, et que de persévérer permet au sens de s'infiltrer jusqu'à nous. « Bientôt on parcourt les poèmes comme une forêt, mystérieuse à jamais, mais dont la pénombre est percée de sentiers et de rayons de lumière. [...] Bientôt, cette forêt se met à pousser en nous. »
Quand la poésie se décloisonne
Depuis deux ans, cette forêt vient à moi autant que je vais à elle. Dans les festivals de musique, les rues, les restaurants, même les réseaux sociaux, les occasions de prendre contact avec la poésie se multiplient. En entendant Baron Marc-André Lévesque lire des extraits de Chasse aux licornes dans la pénombre d'un bar sportif, j'ai vu que la poésie pouvait se faire tout aussi festive que décomplexée.
Ombre et lumière
Tout comme Véronique Côté, je crois que la poésie ne se limite pas aux mots, mais réside dans un état d'ouverture et d'émerveillement. Je crois qu'elle permet à des zones endormies de prendre vie en nous. Leonard Cohen a écrit : « There's a crack in everything, that's how the light gets in » [« Il y a une brèche en toute chose, c'est ainsi que pénètre la lumière »]. Cette phrase résume bien la puissance d’un vers bien ciselé.
La poésie nous réconcilie aussi avec notre part d’ombre. Les révélations poétiques ont été nombreuses pour moi dans les dernières années, que ce soit par les mots de Noémie Pomerleau, Marie Uguay, Jean-Christophe Réhel, Véronique Grenier, Érika Soucy ou encore Joual de bataille.
Je nous souhaite de cesser d'être intimidés et de laisser la poésie nous galvaniser plus souvent. Notre époque en a bien besoin.